Les femmes ne sont pas qu’un appareil reproducteur. Les femmes ne se réduisent pas à un utérus que les gouvernants pourraient se permettre de dompter en les forçant à mener à terme une grossesse non voulue. Qu’en est-il de leur libre arbitre, qu’à t’on fait de leur droit fondamentale de disposer de leur propre corps ? Pourquoi s’acharner à violer sciemment l’article 3 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et priver les femmes de leur « pouvoir de faire pousser » ? Ces questions se sont posées tout au long du cheminement des femmes pour la conquête de la libre maitrise de leur corps et sont aujourd’hui fortement réactualisées au regard du déferlement anti-avortement qui croit aux Etats-Unis.
L’institut de recherches Guttmacher a décompté l’introduction de 1 844 mesures liées à la contraception et à l’avortement et ce, dans 46 Etats, entre le 1er janvier et le 15 mars 2022. Toute cette frénésie autour de l’IVG, qui insurge et révolte autant qu’elle plait et trouve approbation, a débuté quand la Cour Suprême des Etats-Unis, remaniée par Donald Trump, a laissé entendre qu’elle pourrait revenir sur la jurisprudence Roe v. Wade. Cette décision de 1973 est emblématique en ce qu’elle garantit le droit à l’avortement. C’est dans la brèche créée par la rumeur d’un potentiel revirement de cette décision que le corps législatif du Texas s’est engouffré, en votant le 1 septembre 2021, une loi interdisant tout avortement après la sixième semaine de grossesse. Cette loi, des plus radicales, interdit l’avortement dès les premiers battements de cœur de l’embryon, alors même que certaines femmes ignorent encore être enceintes. Avant que les questions se posent, le choix est fait. On le leur impose. Cet Etat conservateur du Sud vise par ce biais à rendre illégal l’immense majorité des avortements, peu importe qu’ils résultent d’inceste ou de viol, peu importe les préjudices économiques et moraux occasionnés, peu importe aussi les conditions futures réservées au fœtus et peu importe encore le droit de libre maitrise du corps des femmes. Outre passant ce droit, la loi va encore plus loin, innove et bascule dans un penchant des plus malsains : le texte prévoit qu’il ne revient pas aux autorités de faire respecter la mesure et délègue ce pouvoir « exclusivement » aux citoyens qui pourront porter plainte contre leurs praticiens. Familles et amis des femmes ayant eu recours à des IVG pourront les dénoncer. Une récompense financière est par ailleurs promise à quiconque dénoncera un avortement et des formulaires anonymisés ont été créés sur la plateforme internet pour y déposer des plaintes. La Cour Suprême, aujourd’hui à majorité conservatrice, a refusé de bloquer la loi texane. Or cette décision a été interprétée comme un feu vert dans de nombreux Etats conservateurs et a alimenté les avancées législatives pour décimer l’accès à l’avortement.
Calqué sur le modèle du Texas, un nouvel épisode de la vaste offensive conservatrice a été notifié dans l’Etat de l’Idaho. Le mercredi 24 mars, une loi entravant le droit à l’avortement a été signée par le gouverneur. A peine plus souple qu’au Texas, elle permet, elle aussi, aux familles de femmes ayant eu recours à une IVG et aux géniteurs eux même, d’agir en justice contre les cliniques et médecins ayant pratiqué l’intervention. Contrairement à la loi texane, le texte législatif du 24 mars dernier intègre une exception pour les femmes victimes de viol ou d’inceste, à condition qu’elles puissent présenter un rapport de police attestant d’une agression. Elle restreint également le champ des personnes susceptibles d’agir en justice aux seuls membres de la famille de l’enfant à naître. L’État de l’Idaho se montre en revanche plus généreux et promet une prime de 20 000 dollars aux proches dénonciateurs. Les législateurs se sont permis de vanter ouvertement cette loi comme « un moyen malin de limiter l’accès à l’avortement » dénonçait Lauren Bramwell, militante d’une organisation de défense des droits civiques dans l’Idaho.
Sur la lancée déniant sans scrupule un des droits fondamentaux des femmes, c’est quasiment sans débat que ce mardi 5 avril au soir, le Parlement de l’Oklahoma a validé le projet de loi n°162 interdisant l’avortement sauf urgence médicale. Très restrictive et dissuasive, la loi prévoit que tout médecin, infirmier ou personnel de santé impliqué dans une IVG sera passible de 10 ans de prison et 100 000 dollars d’amende. En attente de la ratification par le gouverneur de l’Etat, sa signature ne fait l’objet d’aucun suspens puisque Kevin Stitt est ultraconservateur et s’est engagé au début de son mandat à approuver toutes les législations anti-avortement qui seront déposées sur son bureau. Cette décision est la dernière en date mais le mouvement anti-avortement fait rage et prolifère de façon très inquiétante sur le territoire américain.
Ces initiatives législatives portent un coup de massue sans précédent à la décision Roe v. Wade et ont de sérieux impacts, tant sur le plan moral et dignitaire que sur le plan économique : une porte-parole de la Maison Blanche clame à ce propos que ces lois obligent de nombreuses femmes à parcourir des centaines de kilomètres pour quitter ces États des moins libertaires et accéder aux soins nécessaires. Joe Biden et sa vice-présidente ont affirmé qu’ils prendraient les mesures nécessaires pour défendre le droit à l’avortement.
Or ce dernier n’est pas garanti par une loi fédérale mais par la décision Roe v. Wade qui a fêté son 49ème anniversaire le 22 janvier dernier. A cette occasion le président a déclaré vouloir inscrire ce droit dans la loi mais il n’en est encore rien. L’objectif des militants anti-IVG semble clair : interdire l’avortement au niveau national et le sujet est d’ailleurs à l’examen à la Haute Juridiction depuis décembre. L’avenir du droit à l’avortement est suspendu à la décision de la Cour Suprême, censée trancher en juin sur le dossier Dobbs contre Jackson qui implique de se prononcer sur la loi anti-avortement du Mississipi. Si les magistrats y sont favorables, la décision rendue sonnera définitivement l’annulation de l’arrêt de 1973, la victoire des lois anticonstitutionnelles et des militants ultraconservateurs pour la décimation du droit à l’avortement. Par ce biais, elle symbolisera l’acceptation affirmée et assumée de la représentation des organes reproducteurs féminins comme de simples objets et la violation du droit des femmes de rester maître de leur corps.
Zoe Diraison
Sources :
https://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/lidaho-adopte-a-son-tour-une-loi-anti-avortement-1395823