La coupe de l’esclavagisme 2022

Alors que débute les 8ème de finale de ce qu’on a renommé « la coupe du monde de la honte », on n’est pas sans savoir que le pays organisateur de l’événement fait l’objet de nombreuses critiques sur la scène internationale par son dénigrement de toutes règles concernant les droits de l’Homme.

Des conditions de travail désastreuses 

Des chantiers faramineux ont été mis en place depuis 2010 pour la construction d’hôtels, de stades de foot, de routes et aéroports afin que le Qatar soit en mesure d’accueillir les milliers de supporters, les équipes, les staffs, les journalistes du monde entier. Afin de bâtir toutes ces infrastructures, le pays a ainsi dû employer des milliers de travailleurs migrants qui se sont retrouvés piégés dans l’enfer qatari. Ces derniers sont partis avec l’espoir d’une meilleure vie, d’un pays qui pourrait leur apporter de quoi subvenir aux besoins de leur famille en travaillant comme ouvriers sur les chantiers, femmes de ménage, chauffeurs de taxi… Mais c’est un tout autre accueil qu’on leur a réservé une fois sur place) 

Les 2 millions de travailleurs migrants arrivés au Qatar pâtissent depuis 2010 du système de parrainage appelé « kafala » (1). Ce système, dont le nom signifie « mise sous tutelle » en arabe, met sous totale sujétion le travailleur migrant à son employeur. Ce dernier ne peut alors voyager sans l’accord de son patron, ni même changer d’emploi. Il travaille sous une chaleur extrême, atteignant souvent les 40°, et ce, sans limite d’horaire.  Avec le passeport confisqué, la plupart ne perçoivent pas leurs salaires pendant plusieurs mois. Les conditions de vie sont indécentes: plusieurs travailleuses domestiques rapportent des privations de nourritures, des violences sexuelles, verbales, physiques de la part de leurs employeurs chez qui elles sont obligées de loger. (2)

Si plusieurs milliers de travailleurs souffrent de cette exploitation en silence dans un pays où la liberté d’expression est elle-même bafouée, des milliers d’entre eux sont également morts pour cette coupe du monde. Depuis 2010, des décès prématurés et de grande ampleur sont rapportés : plus de 6500 travailleurs immigrés seraient morts depuis 2010. (3) 69% à 80% des décès seraient dû à des causes naturelles, pourtant les certificats sont établis la plupart du temps sans autopsie et sans prise en compte des conditions de travail indécentes dans lesquelles les ouvriers sont forcés de travailler. Les ouvriers qui ne meurent pas sur les chantiers meurent dans leurs chambres non climatisées qu’ils partagent avec une dizaine d’autres personnes.

Ce n’est pas « normal »

            Cette coupe du monde est en effet la plus meurtrière de toutes les autres coupes du monde. Jamais un bilan de morts (létal) n’a été aussi élevé. En Russie, ce bilan s’élevait à 21 morts. Au Brésil, il est (était)  de 8. (4)

            Certes, les travailleurs ne sont pas de simples chiffres. Les 8 morts du Brésil ne valent pas moins que les 6500 morts du Qatar. Là n’est pas le point. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à l’aube de chaque coupe du monde, un phénomène de précarisation et de détérioration des conditions de travail des salariés est observé. (5) Les accidents de travail se font alors plus nombreux, et surtout, plus mortels.

Ce n’est donc pas normal. Ce n’est pas parce que des morts sont observés dans une coupe du monde qu’il faut cautionner ceux observés dans une autre. La coupe du monde du Qatar n’est que la quintessence d’un phénomène de banalisation aggravé depuis des années. C’est parce qu’aucune mesure de condamnation, voire de responsabilisation, vis-à-vis des morts causés au Brésil ou en Russie n’a été envisagée que le Qatar s’est instinctivement attribué un drapeau vert pour entreprendre son processus d’esclavagisme. Ce processus était déjà présent, certes, hors Coupe du Monde, mais le phénomène s’est nettement accru avec l’arrivée de 2022.

Il s’agirait donc de revoir les coûts nécessaires à la préparation d’une Coupe du monde. Des mesures de sanction et de contrôle devront ainsi être mises en place pour les années à venir. Jusqu’où allons-nous sacrifier notre planète et ses êtres humains pour l’organisation de tels évènements sportifs ? 

 Des réformes stériles

             Après les dénonciations de nombreuses ONG, dont Amnesty International, sur les conditions de travail désastreuses des travailleuses et travailleurs migrants au Qatar, le pays, sous pression, s’est engagé dans plusieurs réformes.

            En 2018, le Qatar ratifie en effet deux traités internationaux majeurs en matière de droits humains (6) : le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). L’article 8 du PIDCP interdit toute forme d’esclavage et de travail forcé (7). L’article 7 du PIDESC engage quant à lui le pays signataire à assurer à ses travailleurs des conditions de travail « justes et favorables », avec un salaire équitable, un droit de congé payé, ainsi qu’une sécurité et une hygiène de travail assurées (8). Toutes ces dispositions ont-elles été appliquées ?  Une dernière synthèse avant le tournoi, publiée le 20 octobre 2022 par Amnesty International, démontre que non (9) : les travailleurs migrants sont en effet toujours exploités, toujours forcés de travailler, toujours privés de jours de repos, et voient toujours leurs salaires arbitrairement réduits (et ce malgré une nouvelle législation mise en place en 2020 visant à instaurer un salaire minimum aux travailleurs migrants).

            Une des autres réformes majeures mises en place par le Qatar a été l’abolition du système de « Kafala » (10). En effet, après plusieurs années de réformes qui se succèdent entre 2016 et 2020, la loi qatarie autorise désormais l’ensemble de ses travailleurs étrangers (même les travailleurs domestiques) à quitter le territoire sans l’accord de leur employeur. Cependant, en pratique, cette loi présente de nombreuses lacunes. Aucun mécanisme de contrôle n’a en effet été mis en place pour veiller à sa bonne application. (11). Les rapports de force sont toujours présents, et les habitudes perdurent. Les relations du type «esclave-maître» sont en effet inculquées et normalisées depuis des décennies dans les sociétés du Golfe arabe (12). Il ne suffit donc pas de mettre en place des lois, mais de mettre en place des mécanismes visant à la bonne application de ces lois.  

  S’informer, prendre conscience et agir 

Des changements ont pourtant été faits, des réformes ont été initiées, et des législations ont été modifiées. Tout cela, c’est grâce à l’ampleur de la pression mondiale exercée. Les résultats concrets ne sont certes toujours pas acquis, mais des évolutions sont toujours attendues et le combat, pour ce faire, continue.

Les conditions de travail de ces hommes sont en effet maintenant connues. Ils ont donné leur vie pour offrir des stades de football afin d’accueillir un événement international, au détriment de la Terre et des droits de l’Homme. S’informer c’est ainsi prendre conscience. Prendre conscience c’est agir. Même à une toute petite échelle.

Partager, alerter, et surtout boycotter. Éteindre les écrans lors de la diffusion des matchs, ne pas cautionner le déroulement de cette coupe du monde, ne pas donner de vues, et donc pas d’argent, aux grands groupes de chaînes, qui cautionnent cette coupe du monde. Signer aussi des pétitions, dont un large panel est présenté par Amnesty International (13). Faire pression, que ce soit à travers les réseaux sociaux ou l’envoi de simples courriers. Faire pression sur la FIFA ainsi que la Fédération Française de Football qui va malheuresement participer à cette coupe de la honte. Faire pression pour qu’un fond d’indemnisation soit effectivement mis en œuvre. Faire aussi pression sur les footballeurs, et les personnalités politiques qui y assisteront. Soutenir également les mobilisations et les manifestations qui ont lieu en faveur de cette cause. Saluer Paris, Lyon, Marseille ou encore Lille qui ont fait le choix de ne pas diffuser l’événement, en interdisant les fan-zones (14). Pousser les autres villes, que ce soit en France ou partout dans le monde, à faire de même. 

 La moindre petite action est un pas en plus vers de meilleures conditions de travail, de meilleures conditions de vie, vers plus de dignité, de respect, et tout simplement, vers plus d’humanité.  

 (1), (10), (11)   https://www.monde-diplomatique.fr/mav/156/BELKAID/58115

(2) Coupe du monde au Qatar en 2022 : l’enfer derrière les paillettes – Amnesty International France

(3) Coupe du monde au Qatar : au moins 6 500 morts depuis dix ans parmi les travailleurs immigrés (courrierinternational.com)

(4)  https://bonpote.com/boycotter-la-coupe-du-monde-au-qatar-est-la-seule-reponse-possible/

(5) https://information.tv5monde.com/info/bresil-combien-de-morts-pour-la-coupe-du-monde-4822

(6)  https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2018/06/qatar-finally-joins-two-key-human-rights-treaties-but-what-does-it-really-mean-for-migrant-workers/#:~:text=En%20ratifiant%20le%20Pacte%20international,pour%20toutes%20les%20personnes%20se

(7)   https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/international-covenant-civil-and-political-rights

(8) https://www.ohchr.org/fr/instruments-mechanisms/instruments/international-covenant-economic-social-and-cultural-rights

(9)   https://www.amnesty.org/en/documents/mde22/6106/2022/en/

(12) https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2022/10/qatar-labour-reform-unfinished-and-compensation-still-owed-as-world-cup-loom/

(13) https://www.amnesty.fr/petitions/coupe-du-monde-qatar-2022-fff

(14) https://www.midilibre.fr/2022/10/04/qatar-2022-paris-marseille-lille-quelles-mesures-sont-prises-par-ces-villes-qui-boycottent-le-mondial-10710247.php

https://rmcsport.bfmtv.com/football/bundesliga/bundesliga-plusieurs-banderoles-appellent-au-boycott-pour-la-coupe-du-monde-au-qatar_AV-202211050362.html

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