Les positions des fédérations sur la coupe du monde

Le sélectionneur des Bleus, Didier Deschamps, a dévoilé le 9 novembre dernier la liste des 25 joueurs sélectionnés pour la Coupe du monde 2022. Alors qu’elle ravie les férus de football qui espèrent que la nouvelle équipe ramènera une troisième étoile sur le maillot, cette sélection a un goût amer pour celles et ceux conscients que cette compétition s’est organisée au prix du sang.

Si sélection il y a, boycott sportif il n’y a pas. Malgré les pressions médiatiques et citoyennes actuelles pour protester contre les atteintes aux droits humains, aucune des fédérations sélectionnées pour jouer cette 22ème édition de la coupe du monde n’a renoncé à participer. Alors qu’opter pour des vestiaires vides dans les stades construits sur mesures à Doha auraient illustré, comme il se doit, la conscience citoyenne et environnementale des fédérations, elles ont préféré participer en affirmant que ça ne signifiait pas qu’elles cautionnaient. Le boycott total n’aura pas lieu mais qu’en est il des positions respectives des fédérations et de leurs équipes qui, paradoxalement aux aberrations commises pour rendre possible un tel événement, ont pour mission de faire rêver.

Une FFF attentiste ?

Les conditions d’organisation et de mise sur pied de l’événement sportif de l’année ont fait polémique lorsque la lumière a été portée sur les conditions de travail des migrants. Alors que la FIFA a appelé à ne parler que de foot au Qatar, médias, politiques, ONG et citoyens se sont insurgés contre ce non-respect des droits de l’Homme et en ont attendu tout autant de la part de la FFF qui a tardé à se prononcer sur la question. Dans une lettre ouverte avant le match qui opposait la France à l’équipe danoise, Amnesty international avait en effet regretté le « silence assourdissant » des Bleus.

Pour essayer d’éteindre l’incendie sur son attentisme, la Fédération française de football annonçait dans un communiqué le 14 octobre dernier qu’elle envoyait en urgence une délégation chargée d’évaluer le respect des droits sociaux dans le futur hôtel où logeront les joueurs français. Une mesure louable sur le papier qui peut sembler paradoxale lorsque le Monde nous informait que la FFF, chargée de sélectionner le camp de base il y a de ça plus de 6 mois, n’a pas répondu à la proposition de l’Organisation internationale du travail d’utiliser la grille d’évaluation établie par elle pour vérifier les pratiques d’embauche et les conditions de travail des hébergements qataris.

L’établissement en question, l’hôtel Al Messila, est présenté comme luxueux, étoilé et parfaitement équipé mais un numéro de Complément d’enquête, diffusé sur France 2 le 13 octobre dernier, en a dépeint un tout autre portrait. L’entrée dans les coulisses de ce palace coupe court aux désillusions en mettant en exergue les conditions de vie déplorables des employés. Les images ne semblent pas convaincre la FFF puisque son président, Noël Le Graët, a rétorqué « Ce n’est pas insoluble ça, c’est des coups de peinture. Il y a encore le temps de réparer ça. (…) Je peux vous montrer plein d’images comme ça dans plein de pays, même peut-être pas loin d’ici ». Certes l’initiative tenant à l’inspection de l’hôtel des Bleus fait foi d’une volonté d’être attentif au respect des libertés fondamentales et des droits humains des travailleurs. Toutefois le reportage parle de lui-même et la réception tardive du rapport demandé ne permettra pas de trouver à temps un nouvel établissement.

En outre, la FFF s’est finalement joint au projet porté par plusieurs organisations de défenses des droits humains ayant appelé fédérations et sponsors sportifs à soutenir une levée de fonds d’indemnisation pour les travailleurs migrants victimes d’accidents sur les chantiers de cette Coupe du monde synthétique. Le projet vise également à créer un centre d’accueil pour travailleurs migrants et servira à pallier les lacunes pointées pour les ONG dans la protection des ouvriers, de laquelle Le Qatar semble se départir.

Des réactions oui. Trop tard ? Sûrement.

Des revendications politiques et morales mises sous silence pour le Danemark

Hostile de longue date à l’organisation du Mondial au Qatar, la Fédération danoise de football (DBU) veut jouer et agir en adéquation avec ses valeurs et sa conscience et se pointe sur la défense du respect des travailleurs migrants et des droits LGBT+ bafoués. A 10 jours du début de la compétition, la fédération, adversaire de la France pour les matchs de poules, a annoncé vouloir s’entraîner avec des maillots pro-droit humains floqués « Humans Rights for All ».

En réponse à cette annonce, la FIFA s’est empressée de rappeler la lettre de l’article 27 de son règlement qui précise « qu’il est interdit aux joueurs et officiels d’afficher des messages ou slogans de nature politique, religieuse ou personnelle dans quelque langue ou sous quelque forme que ce soit sur leur tenue, leur équipement (…) ou leur corps ». Elle refuse toute bataille politique sur le terrain et appelle les équipes à se concentrer sur le football et uniquement sur le football.

Le DBU s’en désole, s’y plie pour ne pas subir d’amendes et de sanctions mais refuse de porter de œillères de la sorte : l’équipementier danois a souhaité estomper les logos sur les maillots officiels des joueurs, en signe de protestation contre les autorités qataries aveuglé par le rayonnement d’un tel évènement. La marque fabricante avait déclaré sur Instagram « qu’elle ne souhait[ait] pas être visible pendant un tournoi qui a coûté la vie à des milliers de personnes ».

Prise de position originale pour l’Australie

Après les logos estompés du Danemark, l’Australie, deuxième adversaire de la France en phase de poules, a souhaité s’exprimer sur les agissements (ou plutôt non-agissements) du pays-hôte de la compétition. Son équipe nationale, les Succeroos, ont publié le 26 octobre dernier une vidéo fidèle à leur idéologie et leurs valeurs, pointant du doigt les problématiques qataries.

Cette prise de position est la première du genre par une équipe en tant qu’entité. Elle réunit 16 membres de la sélection qui interviennent tour à tour pour dénoncer les violations des droits humains perpétrées par l’exploitation des travailleurs migrants pour donner vie à la compétition. On apprend que les joueurs, que ne se décrivent pas comme « experts » de la situation, ont cherché à s’informer au cours de ces deux dernières années pour connaître les enjeux et les réalités objectives dans la mise en place de ce Mondial : « Nous avons écouté des organisations telles qu’Amnesty International, l’OIT, la FIFA et, plus important, des travailleurs étrangers au Qatar. Il y a des valeurs universelles qui devraient définir le football comme le respect, la dignité, la confiance et le courage. Quand nous représentons notre nation, nous aspirons à incarner ces valeurs ».

Engagement et compassion pour la Fédération néerlandaise

En marge de l’annonce de la liste des 26 joueurs sélectionnés pour le Mondial, Louis van Gaal, sélectionneur des Pays-Bas, a annoncé que son équipe rencontrerait jeudi 17 novembre, une vingtaine de travailleurs migrants ayant participé, à la sueur de leur front, aux chantiers de Doha. Un échange placé sous le signe de l’écoute qui permettra aux ouvriers de partager leur réalité sur les conditions de travail, d’assujettissement et d’hébergement.

Le sélectionneur néerlandais porte une équipe qui prend fermement position en assurant que cette rencontre « sera bien sûr une situation quelque peu organisée mais que le fait [qu’ils soient] prêts à le faire en dit long sur les idées de la fédération et de l’équipe ». La fédération est l’une des rares à s’être ouvertement opposée aux prescriptions de la FIFA pour dénoncer le non-respect des droits humains. Van Gaal avait d’ailleurs critiqué la tenue de la compétition dans l’Emirat : « Nous allons jouer une Coupe du monde dans un pays où la FIFA prétend vouloir développer le football. Ce sont des conneries. Ce n’est qu’une question d’argent, c’est tout ce qui l’intéresse.»

Riposte plus généralisée contre la passivité de la FIFA

La FIFA a fait pression sur les 32 sélections présentes au Mondial en remettant le football au centre des débats. Gianni Infantino et Fatma Samoura, respectivement président et secrétaire générale de l’instance, se désolant de la tournure politique des prises de positions des sélections, ont demandé que le football ne se laisse pas « entraîner dans chaque bataille idéologique et politique ».

Pour les fédérations européennes visées, pas question d’occulter les enjeux extra-sportifs qui bouillonnent au sein de l’opinion publique. Leur réponse n’a pas tardé : dans une lettre commune au ton inhabituellement plus agressif, l’Allemagne, l’Angleterre, la Belgique, le Danemark, la Norvège, les Pays-Bas, le Pays de Galles, le Portugal, la Suède et la Suisse, toutes membres du groupe de travail de l’UEFA sur les droits humains au travail, ont rappelé qu’elles continueraient à faire pression pour améliorer les conditions de travail des migrants sur les chantiers. Ces dix entités européennes entendent faire reconnaître que les droits humains sont universels. Ensemble, elles entendent incarner la tolérance et la diversité pour pallier les manquements et discriminations perpétrés dans cette Coupe du monde depuis lors totalement démystifiée.

En observant la FIFA s’obstiner à replacer le ballon au centre, on comprend que cette compétition n’est plus du foot mais du business et que, si l’argent n’a pas d’odeur, elle est responsable de la mort de 6500 travailleurs immigrés sur les chantiers, n’ayant pas laissé indifférents les fédérations venues nous représenter.

Sources :

–          https://www.lemonde.fr/sport/article/2022/10/15/mondial-au-qatar-une-delegation-de-la-fff-depechee-en-urgence-pour-inspecter-le-palace-des-bleus_6145955_3242.html

–          https://www.eurosport.fr/football/coupe-du-monde/2022/coupe-du-monde-au-qatar-la-fff-favorable-a-un-fonds-d-indemnisation-des-victimes-d-accidents_sto9171470/story.shtml

–          https://www.eurosport.fr/football/coupe-du-monde/2022/coupe-du-monde-au-qatar-la-fifa-interdit-le-danemark-de-s-entrainer-avec-des-maillots-pro-droits-hum_sto9220694/story.shtml

–          https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Coupe-du-monde-les-joueurs-neerlandais-vont-rencontrer-des-ouvriers-au-qatar/1364315

–          https://www.francetvinfo.fr/monde/qatar/coupe-du-monde-2022-l-australie-premiere-selection-a-prendre-vivement-position-contre-le-non-respect-des-droits-de-l-homme-au-qatar_5443255.html

–          https://www.leparisien.fr/sports/football/coupe-du-monde/droits-humains-au-qatar-10-federations-europeennes-repondent-au-coup-de-pression-de-la-fifa-pas-la-fff-07-11-2022-RBUREPN4QBAA3J6TYEJAGLIZOQ.php

–          https://www.letemps.ch/sport/dix-pays-europeens-dont-suisse-signent-refus-dobeir-fifa?utm_source=twitter&utm_medium=social&utm_campaign=article_traffic

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