Le 26 octobre dernier marque la fin du deuil de Mahsa Amini, soit le 40ème jour après son décès (16 septembre) selon la tradition iranienne. La fin de cette période ne signifie cependant pas la fin de la protestation du peuple iranien, lassé et usé par le régime de la République islamique qu’il rejette totalement à ce jour.
Le brasier a été allumé par la révolte en réaction au meurtre de Masha Amini du fait des violences perpétrées par la police de la moralité iranienne, cette jeune femme étant devenue le symbole de la lutte contre le port du voile obligatoire et contre les autorités répressives chargées de contrôler celui-ci. Ce soulèvement massif n’a été que le déclencheur d’un véritable incendie sur l’Iran, en témoigne celui de la prison d’Évin le 15 octobre dernier.
L’insurrection portée par les femmes qui coupent leurs cheveux ou brûlent leur voile en signe de protestation s’est montrée être la genèse d’une révolte généralisée contre la République islamique en Iran exprimée par de nombreux slogans repris par les manifestants. En premier lieu vecteur d’une émancipation féministe “Zen, zendegui, azadi” (femmes, vie, liberté), la protestation s’est finalement frayée un chemin plus large : “Non à la république islamique en Iran” ou encore “La république islamique on n’en veut pas”. Ce sont dès lors les fondements du régime qui sont la cible d’une déferlante d’accusations.
Ces remontrances populaires sont néanmoins loin d’être injustifiées, et le meurtre de Mahsa n’est pas un cas isolé à étudier séparément du régime. Si les informations envoyées et répandues par les manifestants sur les réseaux sociaux sont victimes de sabotagepar le régime en place, certaines informations ne peuvent être dissimulées, le déni et le mensonge dont font preuve les autorités ne suffisent pas à faire noyer le poisson. Ainsi, en soutien aux manifestant(e)s, un hacker, en déviant la censure du gouvernement, a diffusé une image marquante sur la télévision d’État iranienne ce 9 octobre : le portrait de quatres martyres mortes depuis septembre (dont Masha), au-dessus desquelles trône le guide en feu. “Le sang de nos jeunes coule sur tes doigts” peut-on lire sous ce brasier.
Les protestations font suite non seulement au meurtre de Masha dont la République refuse d’avouer la responsabilité mais reposent aussi sur d’autres bases et insuffisances du régime. La situation économique iranienne est dramatique avec une inflation s’élevant à 40 % poussant 45 % des Iraniens à vivre sous le seuil de la pauvreté, 10 % du peuple étant de ce fait dans l’incapacité de se nourrir. Le régime faillit donc dans son objectif de protection de sa population sur ce point. Plusieurs facteurs sont à l’origine de cette crise économique, parmi lesquels la crise de la Covid, les sanctions américaines dont l’Iran fait l’objet mais aussi une forte corruption dans le domaine public comme privé, qui empêche toute impartialité et démocratie dans la gestion économique du pays.
Outre un climat économique précaire, les droits de l’Homme y sont aussi malmenés, d’autant plus depuis l’élection présidentielle de juin dernier : les femmes sont fortement discriminées, en témoigne le meurtre de Masha, mais aussi les membres de la communauté LGBT ou même de l’opposition, privant ainsi le régime d’un équilibre politique et démocratique. Le fait que la plus grande partie de la population (51 %) ait moins de 30 ans explique une si forte insurrection : la jeunesse iranienne est révoltée et ne se soumet pas aux menaces proliférées.
Malgré ce constat, et alors que la crise s’intensifie, le gouvernement en place a trouvé opportun de durcir les mesures de répression. Cela s’est illustré le 13 septembre 2022, lorsque Mahsa Amini est arrêtée violemment par la police, alors que son voile était mal ajusté. Cette dernière meurt quelques jours plus tard à l’hôpital où elle avait été transférée. Les mesures prises par la police, présumées être la cause de la mort de Masha, auront des conséquences sans précédent.
S’insurgeant contre ces dérives répressives, les femmes iraniennes descendent dans la rue en soutien à Mahsa, mais sont vite encerclées par les forces de l’ordre, qui n’hésitent pas à tirer à balles réelles pour mater les manifestantes. L’effet boomerang de cette répression sanglante ne se fait pas attendre : le mouvement se diffuse en dehors des villes et prend une ampleur encore jamais vue dans le pays, qui a pourtant connu plusieurs mouvements de protestation (2009, 2017 et 2019).
La réponse des politiques emboîte le pas à celle des forces de l’ordre. Alors que le Président Raisi avait déjà appelé ces dernières à agir « fermement contre ceux qui portent atteinte à la sécurité et la paix du pays et du peuple » fin septembre, le chef du pouvoir judiciaire souligne quant à lui l’importance « d’un traitement intransigeant face aux éléments principaux et organisateurs des émeutes ». Quant à l’incendie qui s’est déclenché dans la prison de Téhéran le 15 octobre, le procureur de la ville s’est empressé de dissiper tout potentiel doute : cet événement n’a, selon lui, « rien à voir avec les troubles récents dans le pays », préférant accuser de potentiels « voyous ».
Le pouvoir n’hésite pas à en appeler à différentes brigades, parmi lesquelles les Nakhsa (forces spontanées des terres islamiques), dont la loyauté assurée au guide suprême Ali Khamenei apparaît comme une menace, les etelaati (unités d’intervention des services de renseignement iraniens) ou encore les gardan kolof, embrigadées pour « faire le sale boulot ».
Des nouvelles méthodes d’endiguement des protestations viennent s’ajouter à ces moyens humains et inquiètent les manifestants. Le gouvernement réquisitionne les ambulances à outrance comme véhicule polyvalent permettant l’arrestation des protestataires ou la rapidité de circulation des renforts. Les armes, quant à elles, sont assorties de laser permettant de cibler leur victime.
Le recours à ces moyens meurtriers n’est pas sans rappeler la répression des précédentes révoltes iraniennes de 2017 et 2019, qui avaient causé, selon le bilan de l’agence Reuters, plus de 1 500 morts.
Fin octobre 2022, le bilan est tout aussi macabre. Selon Iran Human Rights, plus de 230 manifestants (dont 29 enfants) ont été tués depuis septembre.